Un mariage de science et de sagesse

La méthode que je propose ici consiste à marier sagesses et sciences. Les connaissances scientifiques à proprement parler n’indiquent pas ce à quoi nous devrions nous employer, les valeurs que nous devrions défendre, ni la direction qu’il serait souhaitable de donner à nos sociétés.

Nous nous sommes égarés à force de considérer le développement technologique et économique comme une fin en soi. Nous avons besoin de sagesse pour guider nos nations. Les connaissances scientifiques nous permettront, quant à elles, d’approuver ou non (en tant alors qu’applications ou qu’interprétations erronées), de spécifier et de concrétiser les orientations générales qu’une approche fondée sur la sagesse nous indique. Cette sagesse, nous la trouvons dans les traditions qui la cultivent depuis des siècles, voire des millénaires – lui permettant d’imprégner nos cultures, condition sine qua non d’un usage légitime et efficace aujourd’hui – et nous mobilisons la science pour l’adapter aux réalités actuelles.

La vision que je décris s’inspire donc des nombreuses traditions de sagesse qui ont fleuri un peu partout sur Terre au fil du temps. Par-delà les traditions dites spirituelles et religieuses, elle inclut également les traditions philosophiques quand elles sont restées fidèles à leur étymologie (l’« amour de la sagesse ») et à la recherche originelle d’une transformation intérieure.

Hélas, ce n’est généralement plus le cas pour la philosophie occidentale, ce qui explique partiellement la grave crise spirituelle que nous traversons. Dans la Grèce antique, la philosophie était un art de vivre, une manière d’être, un effort de transformation intérieure qui s’appuyait sur des exercices spirituels. Le discours n’en représentait qu’une infime partie. Toute personne sur le chemin de l’amélioration ou la réalisation de soi était philosophe. L’ensemble des écoles philosophiques de l’époque a mis en garde contre la tendance naturelle de l’être humain à se laisser entraîner dans le discours et à abandonner la vision de la philosophie en tant que mode de vie. Avant d’être totalement absorbée par le christianisme, la philosophie gréco‐romaine a façonné la vie spirituelle chrétienne en apportant des exercices concrets, des modèles et des termes précis. Le christianisme a par la suite endossé la fonction spirituelle de la philosophie, et laissé la « philosophie » devenir un exercice purement intellectuel et théorique, fournissant une base conceptuelle à la théologie.

Après le Moyen Âge, la « philosophie » a peu à peu regagné son indépendance par rapport à la religion, et elle a hérité de nombreuses caractéristiques médiévales de la théologie abstraite. De nos jours, elle est souvent considérée comme un art de la pensée, plus axé sur les concepts et la terminologie que sur la découverte des lois essentielles et de la vérité de nos propres vies. Elle est enseignée par des professeurs d’université, qui sont les seuls à pouvoir prétendre au titre de « philosophe ». En outre, contrairement à ce qui se passait au Moyen Âge, il est rare que l’absence d’une dimension spirituelle dans la philosophie soit aujourd’hui contrebalancée par la religion. La spiritualité a été assimilée à la religion et rejetée par la philosophie et la modernité occidentale, avec de lourdes répercussions sur l’évolution de nos sociétés.

Alors que les religions ont parfois servi à diviser l’humanité, la véritable spiritualité rassemble les individus. Selon moi, toutes les traditions spirituelles partagent donc une même sagesse dont les différentes formes et couleurs enrichissent notre humanité. Mon expérience personnelle, par essence limitée, m’a rapproché de certaines de ces traditions, notamment celle de mon enseignant, le maître Zen Thich Nhat Hanh, qui apportent un éclairage particulier à cet ouvrage. Cette sagesse planétaire – la sagesse de la Terre –, qui émerge de ces différentes traditions spirituelles, offre, à travers un dialogue continu entre elles, ainsi qu’avec la science et l’histoire, la base nécessaire au développement de la politique de l’être.

Les traditions de sagesse représentent le patrimoine le plus précieux de l’humanité. Elles apportent une profonde compréhension de la nature humaine ainsi que des connaissances et des outils pratiques pour un développement intérieur et finalement social. En réalité, la sagesse spirituelle ne relève pas uniquement de notre vie intérieure. Elle peut s’appliquer à tous les domaines de la vie, et à tout ce que nous faisons, comme le montrent souvent les enseignants spirituels. Les enseignements spirituels peuvent éclairer les sociétés et leur évolution, puisque ces dernières reflètent les schémas et enjeux psychologiques, émotionnels et spirituels des individus qui la composent. Aucun individu ne peut s’épanouir sans se tourner vers l’intérieur. Il en va de même pour les sociétés.

… Extrait de l’introduction du livre Politique de l’être.



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