Politique de l’être : un processus de décolonisation de la théorie et de la pratique du développement

Il est temps pour chaque nation de se reconnecter à sa propre sagesse, de redéfinir sa propre vision de la bonne vie et de tracer son propre chemin vers l’épanouissement.

Ronald Inglehart a montré que « le changement socioculturel dépend[ait] du chemin d’évolution emprunté jusqu’alors et [que] les héritages culturels [étaient] tenaces »[1]. Comme chaque nation suit son propre chemin de développement et peut se situer à différents stades d’évolution, toutes ont besoin d’établir leur propre version de la politique de l’être. Puisque l’héritage culturel national définit l’imaginaire politique, la sagesse traditionnelle constitue la base sur laquelle chaque nation peut déterminer sa vision de la bonne vie.

En effet, si certains aspects universels restent cruciaux, la vision et les chemins du bonheur et de la bonne vie semblent beaucoup varier d’une culture à l’autre. Ainsi, les Américains ont une vision hédoniste du bonheur, étroitement liée à des états positifs d’activation forte, comme l’excitation et l’enthousiasme[2], où les résultats personnels[3] et l’estime de soi[4], par exemple, revêtent une grande importance.

La situation est très différente en Orient. Les Chinois de Hong Kong associent le bonheur avec des états positifs de plus faible activation (par exemple, calme et relaxation)[5], tandis que les Japonais ont plus tendance à considérer l’harmonie sociale comme une source de bonheur[6). Dans la vision japonaise du bonheur, les individus sont interdépendants, et le bonheur et le malheur sont assimilés au yin et au yang, qui s’attirent l’un L’autre.

À l’instar des cultures andines, de nombreuses nations ont un mot ou une expression pour résumer cette vision. Au Costa Rica, « pura vida » (« vie pure ») est la réponse la plus courante quand on vous demande comment vous allez. Cette bonne vie est communément associée à la simplicité, à l’humilité, à la nature, à l’abondance, à l’optimisme, à la joie et à la capacité d’apprécier la vie[7]

Contrairement à la recherche de la croissance économique – qui a apporté une mesure quantitative unique (le PIB) à toutes les nations –, la politique de l’être requiert une approche qualitative, éthique et culturellement appropriée du développement, qui reflète et honore la diversité culturelle. C’est un processus de décolonisation de la théorie et de la pratique du développement.

En renouant avec sa sagesse traditionnelle, chaque nation peut offrir au monde son propre « génie » et son art de vivre, sa propre version de la politique de l’être.

[1] Inglehart 2018, 11

[2] Tsai and Park 2014

[3] Uchida and Kitayama 2009

[4] Diener et Diener 1995 ont montré une association plus forte entre l’estime de soi et la satisfaction de la vie dans les cultures individualistes que dans les cultures collectivistes.

[5] Tsai and Park 2014

[6] Uchida and Kitayama 2009

[7] Apéstegui 2012

1.Inglehart, Ronald F. 2018. Cultural Evolution: People’s Motivations are Changing, and Reshaping the World. Cambridge: Cambridge University Press.

2 and 5. Tsai, Jeanne, and BoKyung Park. 2014. “The cultural shaping of happiness: The role of ideal affect.” In Positive Emotion: Integrating the Light and Dark Sides. Edited by Judith Tedlie Moskowitz and June Gruber, 345-62. New York, NY: Oxford University Press.

3 and 6. Uchida, Yukika, and Shinobu Kitayama. 2009. “Happiness and unhappiness in east and west: Themes and variations.” Emotion 9 (4): 441-56. https://doi.org/10.1037/a0015634

  1. Diener, Ed, and Marissa Diener. 1995. “Cross-cultural correlates of life satisfaction and self-esteem.” Journal of Personality and Social Psychology 68 (4): 653-63. https://doi.org/10.1037//0022-3514.68.4.653

 

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