Avec l’objectif d’être, tout le système change
« En permettant à l’ensemble des êtres de recevoir tout ce dont ils ont besoin, d’offrir tout ce qu’ils peuvent offrir et de devenir tout ce qu’ils sont, nous pouvons enclencher une dynamique de régénération humaine, sociale et environnementale, et d’enrichissement mutuel authentique. Avec l’être pour objectif, l’ensemble du système change, pour passer de la logique de concurrence et de la rareté à celle de la coopération et de l’abondance ; de la cupidité, la violence et la destruction à la bienveillance, la paix et l’épanouissement.
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Avant tout, il nous faut redéfinir le sens et la mesure de la réussite qu’il s’agit d’appréhender en termes d’être et non plus d’avoir. Comme nous l’avons vu tout au long de cet ouvrage, cela revient simplement à lever le voile sur les mensonges sur lesquels notre système économique se fonde. Lorsque nous reconnaîtrons collectivement que l’argent n’est pas la clé de notre accomplissement, et que son accumulation effrénée est bien souvent pathologique, nous cesserons naturellement de nous y attacher. « Le succès ne se mesure pas à la quantité d’argent que vous gagnez, mais à l’impact que vous avez sur la vie des gens », a déclaré Michelle Obama. Quand nous reconnaîtrons que les personnes les plus admirables et accomplies sont au service de tous, les gens tourneront à nouveau leurs efforts vers le bien commun.
La quête d’argent, à l’instar d’autres récompenses extrinsèques, repose souvent sur l’insécurité et le besoin de reconnaissance, alimentés tous deux par la publicité et le système économique. Quand nous pourrons lire cette compréhension dans le regard compassionnel que nos partenaires, nos amis, nos parents, nos enfants, nos collègues et nos voisins posent sur nous, nous changerons sans doute alors notre mode de vie et nous guérirons. À mesure que l’humanité deviendra plus adulte, il sera moins nécessaire de traiter les gens comme des enfants au moyen de systèmes de récompenses et de sanctions pour encourager les bons comportements. Sur le plan social, bon nombre d’activités destructrices ne seront plus tolérées – ce changement de valeurs pourrait même les rendre un jour impensables. Notre système de valeurs concentre notre attention collective et détermine ce qui est possible.
Au niveau national, cela se traduirait par de nouveaux indicateurs de développement. Plutôt que de vouloir afficher le PIB le plus élevé, les pays se targueraient d’avoir des citoyens heureux et accomplis, prenant soin les uns des autres et respectant la nature. Les écueils du PIB sont bien établis, et on trouve aujourd’hui une multitude d’indicateurs alternatifs. Ils évaluent non seulement la richesse et la production économiques avec plus de précision, mais intègrent aussi les dimensions humaines, sociales et environnementales, et parfois des évaluations subjectives de la satisfaction à l’égard de la vie et du bien‐être.
Certains systèmes de mesure réunissent tous ces aspects en un seul indicateur, tandis que d’autres proposent un ensemble de plusieurs indicateurs. Conçu sous la direction technique de Michael Porter (Harvard Business School) et de Scott Stern (MIT), et reposant sur les travaux d’Amartya Sen, Joseph Stiglitz et Douglass North, tous lauréats du prix Nobel d’économie, le Social Progress Index est l’un d’entre eux. Il a notamment été adopté par le Paraguay, l’Union européenne et la Californie. Au lieu de s’intéresser aux moyens économiques, il se focalise sur les résultats obtenus sur les plans humain, social et environnemental.
Dans une certaine mesure, sa définition du progrès social résonne avec notre vision : « [C]apacité d’une société à répondre aux besoins humains fondamentaux de ses citoyens, à mettre en place les éléments qui permettent aux citoyens et aux collectivités d’améliorer et de pérenniser leur qualité de vie, et à créer des conditions idéales pour que tous les individus atteignent leur plein potentiel. »
Comme d’habitude, les pays nordiques occupent le haut du classement, tandis que les États‐Unis restent à la traîne (en 26e position en 2019). Un changement de la répartition internationale du pouvoir pourrait faciliter cette redéfinition du développement, à partir d’une nouvelle vision culturelle. Si la Chine, par exemple, était capable de se reconnecter à son âme, elle pourrait puiser dans sa richesse culturelle et dans sa sagesse ancestrale pour promouvoir de nouveaux indicateurs de progrès et un leadership mondial sain.
Cette nouvelle orientation vers l’« être » ne s’applique pas uniquement au secteur public. Les entreprises peuvent aussi redéfinir leur raison d’être et évaluer leurs performances en termes, par exemple, de bonheur ou de bien‐être. Pour changer notre système de valeurs, nous avons besoin d’une masse critique de leaders engagés dans tous les secteurs et à tous les niveaux : hommes et femmes d’affaires, banquiers, journalistes, chercheurs, présidents, ministres, gouverneurs, maires, fonctionnaires, etc. Ils doivent tous prendre leurs responsabilités, se mobiliser et se fédérer. Il nous faut une volonté d’agir : des engagements individuels, organisationnels et politiques susceptibles de mener à la réussite de cette transformation en l’espace d’une génération. N’y a‐t‐il rien de plus palpitant ?
Beaucoup de ceux qui détiennent actuellement du pouvoir et de l’argent craignent cette transition. Or, tôt ou tard, ce système économique devra complètement changer… ou bien il s’effondrera. La peur est une réaction humaine souvent déclenchée par un traumatisme, mais il n’y a pas d’échappatoire. Nous ne pourrons bientôt plus éviter de faire face à nos propres responsabilités dans les tragédies à venir. Certains essaieront encore d’échapper à leur conscience, mais leurs enfants et le monde leur demanderont des comptes. C’est déjà le cas. Pouvez‐vous alors imaginer en 2040 ? Sur notre lit de mort, nous aurons tous à répondre de ce que nous avons fait pour la Terre et tous ses enfants. »
Extrait du livre Politique de l’être.